De Sourou Pagbaya
« Cogito ergo sum » – « Je pense donc je suis ». Beaucoup d’entre nous sommes peut-être familiers à cette fameuse proposition philosophique de René Descartes dans son opuscule le discours de la méthode publié le 8 Juin 1837. Par cette formulation, Descartes marqua ainsi la naissance de la philosophie moderne occidentale. Je dirais même qu’il a ainsi établi avec lucidité et clarté le thème fondamental de la pensée occidentale qui est basée sur l’individualisme avant tout. Cette attitude, couplée à l’innovation et à l’adoption des idées et des technologies venues des différents coins du monde ont permis à l’Europe de conquérir et dominer le monde y compris l’Afrique pendant plusieurs siècles.
Je pense toutefois que la race humaine aujourd’hui est à la croisée des chemins. Au vue des évènements mondiaux récents, est-il temps de revoir le concept de Descartes par rapport au concept Ubuntu, une vision authentiquement africaine qui encourage la collaboration et la vie en communauté ?
« Ubuntu » en langue Nguni Bantu veut dire « humanité ». Ce terme Sud-Africain est apparu vers le milieu du 19eme siècle et s’est populariser au début des années 1950 à travers des écrits de notable écrivains comme John Kush Ngubane qui a fait une dissertation à ce sujet dans son livre « African Drum ». En terme philosophique, le concept Ubuntu tacle la pensée de Descartes et propose une nouvelle définition de l’essence de l’homme et de l’humanité. Selon le concept Ubuntu, l’essence d’une personne se retrouve à travers une autre personne. « Je suis parce que tu es ». Je suis humain car tu me vois comme un humain. Si je détruis ton humanité pour satisfaire mon désir personnel ou autres objectifs égoïstes, je suis en fait entrain détruire ma propre humanité. Donc, à Descartes qui ne découvre son essence d’humain que par sa propre capacité de penser, Ubuntu répond que Descartes n’a que partiellement raison. Il faut aller plus loin et reconnaitre l’importance de ton prochain dans ta propre existence.
Mais pourquoi tout ceci est important ? Quand nous regardons aujourd’hui autour de nous, que ce soit les catastrophe naturelles ou humaines, nous devons reconnaitre que le monde est en train de changer et pas nécessairement dans le bon sens. Les guerres successives dans le moyen orient, au Maghreb et en Afrique Australe, doublé des changements climatiques planétaire causent des vagues d’immigrés à travers notre globe. Aucune semaine ne passe sans que la presse internationale ne nous informe d’un naufrage aux bords des côtes de la Méditerranée causant la mort de milliers de personnes venant d’Afrique ou du moyen orient a la recherche d’une vie meilleure en Occident. De l’autre côte de l’Atlantique, l’Amérique du Nord continue de voire un flux constant d’immigrés qui fuient la pauvreté et l’instabilité pour une promesse de conditions beaucoup plus acceptables.
Face à tous ces mouvements migratoires, on aurait pensé que le monde entier se tendra la main pour aider ceux d’entre nous qui sont dans ces conditions précaires. Mais, on note plutôt l’émergence du nationalisme et du protectionnisme dans les pays occidentaux. Pour évidence, on peut prendre l’exemple du Brexit (retrait du Royaume Uni de l’Union Européenne), l’avancée des partis anti-immigration en Autriche, aux Pays-Bas, en Allemagne, en France et plus récemment la victoire du candidat républicain Donald Trump aux présidentielles américaines. Ce dernier a clairement indique pendant la campagne et durant les premières semaines de son administration sa détermination à éliminer ou réduire au maximum l’immigration en Amérique.
Comment sommes-nous arrives à ce point où nous sommes devenus indiffèrent face aux conditions d’autres humains comme nous ? Comment pouvons-nous continuer à accepter sans honte ou peine que des bébés de quelques mois meurent naufragés dans les eaux de la Méditerranée ? Comment comprendre que des milliers d’africains périssent chaque année dans des guerres fratricides ou à cause de la famine sans que cela n’offense quiconque. Comment expliquer que plus de 200,000 syriens sont mort dans la guerre civile depuis 4 ans et que jusqu’alors l’ONU n’a toujours pas pu trouver une solution à ce conflit. On dirait que tout un chacun n’est intéressé qu’a ce qui le concerne individuellement et rien d’autre.
Face à ces questions d’ordre humain auxquelles l’Occident n’arrive toujours pas à proposer des solutions adéquates, je pense qu’il est peut-être temps d’offrir des solutions africaines. Je propose donc le concept Ubuntu : je suis parce que tu es. Nos sociétés et civilisations africaines étaient bâties sur la famille et la communauté. Chacun prend soin de l’autre. Si un est malade, tout le monde se sent malade. S’il y a des funérailles dans le village, tout le monde y participe et pleure avec la famille. Dans mon village, quand tu tues un mouton pour célébrer un évènement, tu as intérêt à offrir un morceau a toutes les concessions même ceux qui n’étaient pas présents à l’occasion. Tout cela parce qu’on reconnaissait que nous sommes tous dans le même bateau. On monte ensemble ou on sombre ensemble.
Mais l’individualisme occidentale est maintenant de plus en plus accepté comme la norme. On pense que c’est ok de s’enrichir massivement et vivre dans l’opulence même si ton voisin peut à peine s’offrir un repas par jour. On ne se gêne pas de rouler dans sa voiture de luxe et éclabousser le mendiant de l’eau de rue sans remords. Le sort des autres nous importe peu jusqu’à ce qu’on se retrouve dans un pareil cas. En ce moment on se demande pourquoi les autres ne viennent pas nous assister. On s’étonne de la méchanceté de son frère envers soit oubliant que pas plus qu’hier on a ignoré ses pleurs et supplications.
L’heure a peut-être sonné pour que nous africains retournons a ces valeurs qui faisaient de nous des peuples moins équipés, mais plus heureux. Le temps est venu ou l’élévation du statut social d’un individu devrait être juge par manière avec laquelle il traite les autres. La richesse ou l’éducation ne doivent plus être les seules mesures du respect qu’on donne a un individu dans la société. Plutôt, cela doit se baser plus sur le respect et la valeur qu’il accorde aux autres sans qu’il ne cherche à savoir s’ils sont de sa classe ou pas. Parce qu’en fait, la classe sociale ne veut rien dire. Ce n’est qu’une invention que l’homme à créer par vanité. Si nous croyons que nous sommes tous les enfants d’un même créateur, comment pouvons-nous alors penser que ce même créateur nous préfère aux autres.
Nous sommes tous humains, et notre humanité ne peut être définie qu’à travers nos autres frères humains. En tant qu’africain, vivant en Occident, je pense que c’est de notre devoir de démontrer ces valeurs africaines d’unité, de solidarité et de soutien mutuel. Je ne défends pas le communisme ; loin de là. Je propose plutôt l’Africanisme, la philosophie Ubuntu : je suis parce que tu es…
D’une part, la vie et l’être sont deux choses inséparables. Et de l’autre, l’être et le prochain le sont également. Par conséquent, le “je” n’est pas séparable du “tu”. On peut ainsi se rappeler que la femme est tirée de l’homme et l’homme tiré de la femme. C’est l’ensemble qui constitue le tout. Et le tout provient des unités qui se connectent, se regroupent pour former une toile, un monde. L’unité donc ne se suffit pas et ne pourra se suffire!
Belle analyse en tout cas, mon frère.